lundi, juin 26, 2006

L'EGLISE ET L'ETAT A GENEVE AU TEMPS DE CALVIN

Avant l'arrivée de Calvin.

Politiquement et religieusement, Genève fut au XVème siècle et jusqu'en 1526, dépendante des princes de Savoie; c'est-à-dire sous l'influence du catholicisme romain. L'Evêque était le souverain de la cité. En 1526, par l'établissement de la combourgeoisie des trois cantons suisses de Genève, Fribourg et Berne, Genève obtenait l'indépendance par rapport aux princes de Savoie.. La Cité était alors gouvernée par le Conseil des Deux Cents, et jusqu'en 1535, elle subit très fortement l'influence bernoise. Par la suite, cette influence fut, même, une des raisons de Conflits entre Calvin et l'Etat genevois.

A la révolution politique devait bientôt succéder la révolution religieuse. En juillet et août 1535, avec l'appui de Guillaume Farel, les églises furent prises par les Evangéliques. Le 10 août 1535, la messe fut interdite; le Conseil des Deux Cents fit détruire les images et sécularisa les biens du clergé. L'autorité de l'Etat se substitua à celle des anciens pouvoirs ecclésiastiques.

Le 21 mai 1536, le Conseil Général de Genêve décidé de vivre "sous la loi évangélique", qui devenait loi fondamentale de l'Etat (Constitution, dirions-nous en langage moderne). L'interprète en était le Conseil Général. Selon cette loi, la fréquentation du sermon était obligatoire sous peine de bannissement; les adultères et les débauchés étaient également punis. Le domaine religieux et l'ordre moral étaient ainsi entre les mains de l'Etat. Genève passait en quelques années de la théocratie romaine à la césaropapie protestante, de la toute-puissance de l'Evêque à la toute puissance de l'Etat. Telle était la situation de la Cité de Genève lorsque Guillaume Farel pria fortement Calvin, de mpassage à Genève en 1536 (et qui n'avait l'intention d'y séjourner qu'une nuit) de demeurer auprès de lui.

Calvin et l'Etat de Genève.

La présence du Réformateur dans la Cité suisse allait transformer les rapports entre l'Eglise et l'Etat. La forme de ces rapports dépendit souvent de la personnalité des magistrats élus dans les Conseils. Aussi, est-il utile de préciser en particulier l'influence des divers "partis" politiques sur la Réforme genevoise. En effet, selon que le parti prépondérant au gouvernement était favorable ou hostile à Calvin et au Consistoire, différents furent les rapports entre l'Eglise et l'Etat.

-- Quelle fut l'influence des partis politiques dans la Réforme de Genène ? Remarquons d'abord qu'à cette époque le "parti" n'avait pas la rigidité des partis politiques contemporains. Ils n'avaient ni doctrine ni discipline fixes. C'était plus une tendance qu'une doctrine qui regroupait un certain nombre de personnalités. D'autre part, par l'existence de ces "partis" (et même par les influences extérieures à Genève, bernoise, en particulier) , la Réformation ne fut jamais mise en cause à Genève. Les Anabaptistes eux-mêmes et les diverses tendances hétérodoxes ne menacèrent jamais le principe fondamenal de la Réforme.

-- Le parti de l'indépendance. Ce fut celui des patriotes, dont le chef fut d'abord Besançon Hugues (1527). Il lutta pour l'indépendance à l'égard du parti savoyard (le parti catholique). Il était composé par les Bourgeois de Genève, et il rechercha l'alliance des Ligues suisses : ce qui permit la révolution politique et l'établissement de la Combourgeoisie de Genèe-Fribourg-Berne. Dès 1527, ce parti prit la direction du gouvernement genevois. Il créa le Conseil des Deux Cents à côté du Petit Conseil. Il se tourna de plus en plus du côté de Berne qui, à son tour, nourrissait l'espoir de substituer son protectorat sur Genève à celui de l'Evêque. Sous l'égide de ce parti (d'abord de l'indépendance à l'égard de la Maison de Savoie) , Genève entra dans les voies de la Réforme, grâce à l'appui de Berne qui avait déjà adopté la Réforme.

Dès 1534, le parti de l'indépendance et le parti évangélique fusionnèrent. Du 23 juillet au 8 août 1535, il devint un véritable parti révolutionnaire, dont le chef fut Guillaume Farel. En effet, tandis que le Conseil de l'époque hésitait, les "Evangéliques" s'emparèrent successivement de la Madeleine, de Saint-Gervais, de l'Eglise des dominicains et de la cathédrale Saint-Pierre. Le 10 août, le Conseil décréta l'interruption de la messe et la sécularisation des biens du clergé. La révolution religieuse fut donc en même temps une révolution politique. Elle entraîna, en effet, la fin de l'hégémonie de l'Evêque et celle du parti savoyard. Après avoir choisi entre Berne et Fribourg, cette révolution gagna Genève. La Réformation est née alors d'un besoin d'affranchissement politique.

Le nouveau régime fut un régime de pleine césaropapie. Il donnera naissance au parti de Jean-Philippe, qui fut le prolongement du parti de l'indépendance et de l'autorité absolue de l'Etat.Une fois la Réforme établie à Genève, le nouveau problème fut le suivant : qui interprètera et appliquera la loi nouvelle, "la loi évangélique". Autour de cette question naquirent deux nouveaux partis : le nouveau parti de l'indépendance (cette fois, à l'égard de l'Eglise nouvelle, dirigée par Calvin et Farel): le "parti des artichauds", qui fut celui des patriotes ("artichauds" = ceux qui avaient signé à Berne des ARTICULI) - et le "parti des Guillermins", appuyait Calvin et sur lequel Calvin s'appuyait.

-- Le parti de Jean-Philippe, dit parti des Artichauds. Ce fut la parti césaropapiste et bernophile, qui représenait la tendance allemande de la Réformation<; Il comptait parmi ses chefs, des hommes de bien, dont le mot d'ordre était : "personne ne dominera sur ma conscience". Ils furent des patriotes ombrageux aux tendances autoritaires qui, en réaction à la domination de l'Evêque, voulaient la suprématie absolue de l'Etat. Aux élections de février 1538, ce parti obtint la magistrature des Quatre Syndics. Ils n'étaient pas hostiles à la Réformation, mais souhaitaient des mesures disciplinaires instituant un gouvernement spirituel de l'Eglise. Au nouveau gouvernement, ce parti provoque, sous l'impulsion des plus violents et sous l'influence de Berne, le départ de Calvin et de Farel. Entre 1538 et 1539, le gouvernement de Genève fut ainsi sous l'autorité du parti des "Artichauds". Le 10 juin 1540 vit la fin fin de ce parti après l'exécution de son chef Jean-Philippe, condamné à mort comme meurtrier et séditieux.

-- Le parti des Guillermins (partisans de Guillaume Farel). Il appuya les Réformateurs, parti de la Réforme française; mais pour les "patriotes" genevois, il fut le "parti de l'étranger". Il fut porté au pouvoir pour la première fois le 5 février 1537, par l'élection des Quatre Syndics favorables à Calvin. Sous ce gouvernement, les deux pouvoirs (civil et ecclésiastique) se trouvèrent en harmonie. Mais l'année suivante, ce parti connut un échec; les quatre nouveaux syndics furent du parti opposé. Sous le régime des "Guillermins", la "Confession de foi jurée" devint la loi d'Etat. Après une éclipse de trois ans, le parti des Guillermins reprit le pouvoir. Calvin fut rappelé à Genève, après un exil de deux année Strasbourg. Au cours de la période de 1540 à 1545 (sauf quelques rares frictions sur des questions secondaires), les principes calviniens des rapport entre l'Eglise et l'Etat furent appliqués, dans lesquels l'Etat est "aide nécessaire de l'Eglise" et où l'Eglise maintient l'autorité de la Parole de Dieu dans la doctrine et dans les moeurs. Pendant cette période, l'Eglise de Genève fut organisée en pouvoir spirituel distinct du pouvoir politique. Calvin fit promulguer en 1541 les "Ordonnances ecclésiastiques" qui devaient "réduire en bonne forme le gouvernement spirituel tel que notre Seigneur l'a démontré et institué en sa parole". "L'Eglise - écrit M.Choisy - fondée sur l'autorité de la Parole de Dieu est armée d'une règle disciplinaire, elle exerce un gouvernement spirituel, elle travaille et veille au maintien de la pure doctrine, à l'instruction de la jeunesse en vue de l'avenir, et au soulagement des pauvres".

Les "Ordonnances" reconnaissent la suprématie du Conseil sur les ministres en tant que fonctionnaires publics. Elles affirment l'indépendance absolue des deux pouvoirs. "Dès lors, le système théocratique en vigueur à Genève n'est plus césaropapiste, c'est un système où l'indépendance de l'Eglise est sauvegardée, en un mot c'est le système théocratique de Calvin" (Choisy).

Pendant cette période de 1540 à 1545, le "Consistoire" est définitivement organisé. Son rôle est de "reprendre d'après la Parole de Dieu", de poursuivre les opinions doctrinales erronées, de veiller à la fréquentation régulière des services religieux, d'admonester les délinquants (joueurs, débauchés, querelleurs, etc..), de réconcilier les familles divisées. C'est à lui aussi que revient de le "droit d'excommnication". Le "Magistrat" est une "aide nécessaire" du "Consistoire" pour prêter main forte en cas d'opiniatreté des délinquants.

En outre, le "serment des pasteurs" est établi le 10 juIllet 1542. Il souligne le respect dû aux représentants du pouvoir politique et la liberté du "ministre" d'enseigner selon le commandment de Dieu. Les pasteurs doivent donc obéissance aux magistrats dans le domaine civil, mais ils sont indépendants dans le domaine spirituel. La difficulté réside, précisément, dans les limites de cette liberté. Selon Calvin, "le pouvoir politique doit organiser l'Eglise d'après les directions que lui donnent les ministres, selon la Parole de Dieu dont ils sont les interprètes" (Choisy).

-- Les "Ordonnances sur le régime du peuple" sont aussi édictées pendant cette période, par le "Conseil", sous l'inspiration de Calvin et de Michel Roset. Elles affirment la légitimité du "Magistrat", le maintien de l'honneur de Dieu et l'indifférence de la forme de gouvernement.
Quelques résistances, provoquées par le fonctionnement spirituel de l'Eglise (affaire Castellion) amenèrent une unité renforcée du programme calvinien : obligation de l'assistance au culte strictement appliquée; avis de Calvin au Conseil en matière civile (prêt à intérêt, organisation de l'hôpital); invocation divine aux élections.

De 1545 à 1553, Guillermins et Calvinistes connurent un recul avec la réapparition du parti anti-disciplinaire de Ami Perrin. Mais à partir des élections de février 1555 où Qautre Syndics favorables aux calvinistes furent au pouvoir, la conception calvinienne des rapports entre l'Eglise et l'Etat triompha de nouveau, surtout à partir du 16 mai 1555, date de la répression de l'agitation perriniste et de l'exécution d'Ami Perrin. Genève devint dès lors le centre international de la Réforme. Des réfugiés français y affluèrent. Ce fut aussi la création de l'"Universite".

L'Eglise et l'Etat sont unis intimément, mais distincts, utilisant des moyens différents: ce sont deux pouvoirs coordonnés, agissant sur une société unique au service d'une autorité unique : Dieu! L'Eglise enseigne, éduque; elle est conseillère et censeur. L'Etat veille sur la disicpline, sur l'ordre extérieur. Il est le surveillant et le pacificateur.

-- Le parti des Perinnistes. Il ne forme pas vraiment un quatrième parti, mais plutôt une forme nouvelle du parti des "Artichauds" ou des anti-disciplinaires. Son influence couvrit la période de 1546 à 1555 environ. La question de la discipline fut pendant toute cette période ce qui opposa le plus fortement Calvin et le Consistoire au Gouvernement: en particulier le "droit d'excommunication". Ami Perrin fut l'un des plus zèlés instigateurs de la Réforme à Genève. Mais au cours du procès d'Ameaux, il avait dansé en compagnie de sa femme, fille de l'ancien conseiller François Favre. Calvin estimant que la discipline était aussi valable pour les grands que pour le commun peuple, fit emprisonner Ami Perrin pendant trois jours. Celui-ci récidiva, et il donna son appui au parti anti-disciplinaire et rompit avec le Réformateur.

Les élections de février 1547 furent défavorables à Calvin, et les sujets de friction allaient se succéder. Cependant, la question de l'excommunication, son développement et son dénouement mérite attention. Elle fut posée de manière précise dès 1547 à propos du renvoi au Consistoire des condamnés civils. Les amis de Favre soutenaient une thèse essentiellement juridique, affirmant que les édits ne mentionnaient pas le cas explicitement. Le "Conseil" décida, cependant, la libération des coupables repentants après l'accomplissement de leur peine. Seuls, les rebelles seraient renvoyés au Consistoire. Par contre, le "Consistoire" voulait que les oupables soient admonstés ou excommuniés sans passer par le pouvoir civil. Calvin menaça de quitter Genève une seconde fois. Pour éviter une nouvelle rupture, le "Conseil" établit un compromis : il maintint son arrêté mais renvoya Favre au Consistoire.

En février 1553, les Perrinistes triomphèrent aux élections. Perrin fut élu Premier Syn dic et Capitaine Général. La question du droit à l'excommunication fut à nouveau posée à propos de l'affaire Berthelier. Le 1er septembre 1553, le Conseil autorisait Berthelier à participer à la sainte-cène; mais le lendemain, Calvin fit savoir au Conseil qu'ikl refusait. Le 3 septembre, il déclarait en chaire, à l'issue de la prédication :" Et maintenant, si quelqu'un se voulait ingérer à ceste sainte table à qui il serait défendu au Consistoire, il est certain que je me montrerai pour ma vie tel que je dois". Le 7 novembre 1553, le Conseil des Deux Cents réuni, décidait que les coupables ne seraient pas renvoyés une seconde fois au Consistoire; il interdisait aussi au Consistoire de refuser la sainte-cène sans l'avis du Conseil. Cette fois encore, le Consistoire ne voulut pas se soumettre à cet arrêté. L'avis des autres Eglises suisses fut alors sollicité. Sans vouloir contredire Calvin, elles se montrèrent implicitement favorables aux droits du pouvoir politique. De nouveau, le Conseil temporisa; le 2 février 1554, il offrit un dîner où Calvin, Perrin et Berthelier devaient se réconcilier.
Ce rapide aperçu de la question de l'excommunication montre qu'elle fut une des causes essentielles de la lutte des deux pouvoirs à Genève; et jusqu'à l'écrasement des Perrinistes le 16 mai 1555 et la victoire définitive des Calvinistes, elle ne fut résoule que par des compromis.

Il importe de relever un autre fait important: c'est au cours de la période perriniste qu'eurent lieu d'importants procès: ceux de Trollet, de Gruet et surtout de Michel Servet. Lors du procès de Servet, les Perrinistes qui avaient, sans doute, secrètement espéré faire échec à Calvin en comptant sur l'appui des autres Eglises suisses, n'osèrent pas, devant l'approbation de celles-ci à une condamnation éventuelle de Servet,sauver l'hérétique, dont le caractère d'hérésie était trop évident.

En février 1555, quatre syndics calvinistes furent élus. Les Perrinistes tentèrent de reconquérir le pouvoir pat la violence. Cependqant, après l'émeute du 16 ami, fomentée par les Perrinistes, une information judiciaire fut ouverte contre les agitateurs, et Ami Perrin et ses amis furent exécutés. C'était la fin du Perrinisme et la victoire des Calvinistes qui, désormais, restèrent seuls au pouvoir.Ce fut alors, la période de l'union des deux pouvoirs, civil et religieux.

Calvin a donc reconnu la validité des pouvoirs constitués, même quand ceux-ci l'ont obligé à s'exiler de la Cité. Toutefois, l'existence de l'Eglise est distincte de celle de l'Etat. Ce fut à cette fin que fut créé le "Consistoire". Mais l'Eglise demeure unie à l'Etat qui protège la religion et la saine doctrine. Il intervient dans les divers procès d'hérétiques.

Ainsi, quelles que furent les imperfections, parfois les scandales, de la vie poligtico-religieuse de Genève, la forme du gouvernement connut un très sensible progrès sur les autres formes contemporaines de l'Etat. Ce n'est pas un abus de langage quand Calvin, parlant du régime de Genève, le déclara un "régime de liberté". C'est, affirmait-il, "un don singulier qu'une telle liberté" ! (Op.Calv.XXVII,410)

Pierre Curie (Extraits d'un Mémoire présené en 1949 à la Faculté de théologie protestante de Paris : "Les rapports entre l'Eglise et l'Etat chez Calvin)

4 commentaires:

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Anonyme a dit…

Interesting site. Useful information. Bookmarked.
»

Anonyme a dit…

Your website has a useful information for beginners like me.
»